La loi no 31 et le pouvoir exceptionnel de dérogation aux règlements d’urbanisme
Contexte de la loi no 31
Le 21 février 2024, l’Assemblée nationale du Québec a adopté la Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation, anciennement le projet de loi no 31. Englobant initialement des questions telles que les relations entre les locateurs et les locataires ainsi que les pouvoirs du Tribunal administratif du logement et de la Société d’habitation du Québec, le projet de loi a aussi été amendé pour toucher des questions d’urbanisme.
L’article 93 de la loi, anciennement l’article 37.2, accorde aux municipalités un pouvoir temporaire d’autoriser, par résolution, des projets d’habitation d’au moins trois logements, en dépit de la réglementation d’urbanisme en vigueur. Toute municipalité peut autoriser les projets composés majoritairement de logements sociaux, abordables ou étudiants. Les municipalités de 10 000 habitants et plus dont le taux d’inoccupation des logements locatifs est inférieur à 3 % peuvent utiliser ce pouvoir pour autoriser les projets d’habitation de tout type.
Certaines balises minimales s’appliquent et les projets autorisés via ce mécanisme ne sont pas assujettis à l’approbation référendaire. Ce pouvoir exceptionnel est applicable jusqu’au 21 février 2027, avec la possibilité d’une prolongation de deux ans.
***Consulter le Muni-Express dédié du ministère des Affaires municipales pour plus d’information sur la Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation.
Position de l’Ordre sur le projet de loi
Lors du débat sur le projet de loi no 31, l’Ordre a exprimé de vives préoccupations concernant cette disposition, tout en reconnaissant la nécessité de faciliter la construction de logements. Ces préoccupations ont notamment été exprimées dans les médias ainsi que dans une lettre envoyée aux élus. Nous continuons à privilégier l’actualisation des plans et des règlements d’urbanisme à la lumière de l’impératif de la densification urbaine et de la crise de l’habitation, plutôt que l’utilisation de procédures exceptionnelles d’autorisation.
Toutefois, l’Ordre prend acte du choix de l’Assemblée nationale et reconnaît que le pouvoir de l’article 93 fait maintenant partie, du moins temporairement, du coffre à outils en urbanisme. Ainsi, il souhaite proposer une orientation à ses membres concernant sa vision d’une utilisation responsable de ce pouvoir, dans un souci de protection du public.
La résolution-cadre comme étape préalable
Pour l’Ordre, il est indispensable que les municipalités souhaitant recourir à ce pouvoir se dotent de balises en amont, via l’adoption d’une résolution-cadre. Une telle résolution préciserait les intentions du conseil municipal par rapport à l’utilisation du pouvoir, assurerait une plus grande prévisibilité, transparence et cohérence des décisions et constituerait un contrat politique entre les élus et les citoyens.
L’approche préconisée par l’Ordre s’inspire notamment du fonctionnement des règlements sur les projets particuliers de construction, de modification ou d’occupation d’immeuble (PPCMOI). Notre vision est que ce pouvoir soit utilisé essentiellement comme un « super PPCMOI », plus souple et sans possibilité de processus référendaire.
Une résolution-cadre devrait minimalement comprendre :
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Une identification des territoires d’application du pouvoir
Nous croyons qu’il est important de circonscrire l’utilisation du pouvoir à des secteurs propices à recevoir des projets de densification et ainsi assurer une localisation optimale des nouveaux logements. Le centre-ville, les secteurs centraux ou des secteurs déjà identifiés comme étant à requalifier ou à redévelopper sont des choix évidents, mais une variété de considérations sont à prendre en compte, dont la présence et la capacité des infrastructures publiques, la desserte en transport collectif ou encore l’accès aux commerces et services de proximité (scolaires, sanitaires, culturelles, ludiques, etc.).
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La notion du respect des objectifs du plan d’urbanisme
Les projets autorisés par ce pouvoir doivent être cohérents avec les objectifs du plan d’urbanisme (PU). La municipalité pourrait aussi faire référence à tout autre document de planification pertinent comme une politique d’habitation ou un plan climat. Enfin, si la municipalité est en processus de révision du PU et estime que le plan en vigueur ne représente plus sa vision du développement du territoire, la résolution-cadre pourrait prévoir des objectifs propres à l’utilisation de ce pouvoir, par exemple en s’inspirant du schéma d’aménagement, d’un projet préliminaire de PU révisé, ou bien des nouvelles orientations gouvernementales en aménagement du territoire, attendues ce printemps.
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Des critères d’analyse pour les projets
La résolution-cadre doit établir des critères pour l’analyse des demandes d’autorisation. Pour les municipalités s’étant dotées d’un règlement sur les PPCMOI, les critères de ce règlement pourraient servir d’inspiration, avec les adaptations nécessaires. Nous préconisons entre autres des critères en lien avec :
- La compatibilité du projet avec son milieu d’insertion, ses impacts (p. ex. ensoleillement, canopée d’arbres, circulation, vues, paysages, impacts positifs) ainsi que les stratégies de mitigation de ceux-ci;
- L’intégration urbaine du projet, autant en termes de ses caractéristiques physiques (p. ex. implantation, volumétrie, densité) que son apport à la création d’un milieu de vie complet (p. ex. mixité d’usages);
- La qualité architecturale de la proposition et sa contribution au développement d’un milieu de vie convivial;
- La conservation et la mise en valeur du patrimoine, du bâti existant et des composantes identitaires du secteur (historique, sociale, culturelle, paysagère, etc.);
- Les caractéristiques des logements proposés et les gains potentiels en termes de réponse aux besoins en habitation.
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Des conditions minimales
La loi permet aux municipalités de prévoir des conditions devant être respectées lors de la réalisation des projets autorisés via le pouvoir exceptionnel. Nous croyons que les municipalités doivent minimalement prévoir comme conditions :
- L’assujettissement des projets au règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA), si applicable, particulièrement dans les secteurs patrimoniaux ou autrement sensibles;
- L’avis du comité consultatif d’urbanisme (CCU), qui constitue une occasion de bonifier les projets, d’identifier des conditions supplémentaires et d’en améliorer l’acceptabilité sociale;
- L’obtention d’un permis de construction et de toute autre autorisation municipale normalement requise dans le cadre de la réalisation du projet;
- Une durée de validité de l’autorisation, afin d’éviter la réalisation des projets plusieurs années après l’adoption de la résolution et possiblement même après avoir révisé la planification et la réglementation pour faciliter la densification.
***L’Union des municipalités du Québec a récemment organisé un webinaire et produit un aide-mémoire sur le pouvoir exceptionnel de l’article 93, disponible en différé et moyennant des frais pour les non-membres.